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Interview Bernard GEORGES-BATIER

Ce texte est la dernière interview réalisée auprès de Bernard GEORGE-BATIER. Il a été publié dans SHUMEIKAN N°7 en juin 2010.
 
Recherche personnelle : un parcours marqué par l’ésotérisme oriental et la médecine énergétique
En 1957, poussé par une recherche philosophique, Bernard George Bâtier débute les arts martiaux par le judo et le Jiu-jitsu. En 1958, il rencontre Maître Nakazono qui lui fait découvrir l’Aïkido dans lequel Bernard George Bâtier découvrira une pratique qui allie de manière concrète le corps et l’esprit. Dans sa recherche personnelle, ce pratiquant  acharné aura l’occasion de rencontrer de nombreux experts japonais et orientaux d’Aïkido mais également d’autres disciplines qui enrichiront sa recherche. Son témoignage ci-dessous souligne la richesse d’un parcours de construction personnelle marqué par l’approfondissement et l’ouverture.
Peux-tu nous parler de la période du démarrage de l’Aïkido dans le Lyonnais, où tu as joué un rôle essentiel
Au commencement à Lyon, il y avait un seul club, le club du CLAM animé par B. Monneret, à la Croix Rousse, mais B. Monneret était d’abord judoka.
De mon côté, avant mon armée, en 1956, j’avais rencontré Maitre Nakazono qui faisait une tournée en Europe. Il avait montré le Kendo, le judo et l’Aïkido, en soulignant l’Aïkido comme le plus « noble ». Cela m’avait marqué.
Peu d’entre-nous connaissent Maître Nakazono. Quel type de personnalité était-ce ?
Me Nakazono est l’Homme qui voulait montrer la spiritualité dans l’Aïkido, les forces de l’univers, avec le souhait de re-transmettre l’enseignement de Maître Ueshiba. Il utilisait et expliquait aussi le symbolisme par exemple du cercle, triangle, carré. C’était un Judoka, qui avait travaillé le Kendo également. C’était aussi un haut-gradé de l’armée au Japon. En 1956-57 il était venu au judo-club du Rhône à l‘époque où j’étais judoka, puisque j’ai commencé par le judo. A cette occasion, il nous avait également fait pratiquer l’Aïkido, et ce fût donc mon premier contact avec cet art martial.
Ensuite, j’ai rencontré Hiroo Mochizoki, avec un stage d’été en corse. Monneret invitait Maître Noro, et j’ai donc suivi également ces cours. Puis avec les rudiments que j’avais appris, j’ai ouvert une section d’Aïkido au judo-club du Rhône. Donc ce fût le second club du lyonnais, avec celui de Monneret. A l’époque je n’étais rien…et Monneret pas grand-chose non plus. Mais on a commencé ainsi, en organisant des stages réguliers pratiquement tous les 2 mois, notamment avec Maître Noro.
Et puis Maître Tamura est arrivé. Donc j’ai fait venir Maître Tamura alternativement avec Maître Noro chez Monneret et chez moi.
Tu as donc connu Maître Tamura dès qu’il est arrivé en 1964 ?
Oui. Nous avons d’abord été reçus à Marseille chez lui, avec son épouse. Les contacts se sont développés avec la création des premiers clubs, et puis cela a été l’époque de l’ACFA (Association Culturelle Française d’Aïkido) rattachée à l’ACEA (Association Culturelle Européenne d’Aïkido). Dans ce contexte notre mission a été de développer l’Aïkido dans la région lyonnaise, notamment en collaboration avec Tien Nguyen qui est devenu le deuxiéme président de ligue de la région Lyonnaise,(après le Dr Ballerin) pendant que je devenais un peu plus tard délégué technique régional.
Une école des cadres à donc été mise en place, et d’autres techniciens ont commencé à se former, par exemple Alain Perrache à Villefranche sur Saône, qui travaillait avec un élève de Maître Nocquet mais qui  venait suivre des cours chez nous également. Un troisième club a ainsi été créé, le CETEO (Centre d’Etude des Traditions d’Extrême Orient) puis progressivement d’autres clubs se sont développés. J’ai d’abord créé un club à la FAC, puis c’est Gérald Polat qui en a pris l’animation ;  j’ai également ouvert la maison des jeunes de Villeurbanne, puis l’Europe Karate Club. Il y a donc eu une époque où j’enseignais dans 3 ou 4 clubs, mais selon les besoins je laissais les clubs  à quelqu’un d’autre après la phase de création.
L’époque était sans doute différente aussi. Aujourd’hui on est presque 3è ou 4è Dan pour ouvrir un club, mais à cette époque cela semblait plus spontané… 
Bien sûr. J’ai commencé avec simplement un 5è Kyu !
Après Gérald, de nombreux enseignants ont également fréquentés mon dojo, comme Floréal Pérez qui a ouvert un club à Bron, Didier Allouis qui était un de mes élèves et qui ouvert un club à Villeurbanne, ou encore Robert Dalessandro également CEN FFAB aujourd’hui, et d’autres encore comme Alain Robert, Michel Lieggi, Sam Noyce, ou encore Michel Gillet, actuel président de Ligue…C’était une époque de développement rapide pour l’ACFA. Nous avions à peine 25 ans, et nous partions en stage régulièrement avec les différents experts japonais Maitre Tamura, Maitre Noro,  ou également Maître Tada en Italie.
Tien Nguyen qui est décédé en 2010 a également accompagné toute cette période comme président de ligue. Il avait notamment développé de grandes qualités de diplomatie, à la fois comme président de ligue et comme responsable du club de Caluire. Il restait toujours calme, et mesuré. Il était d’origine vietnamienne ce qui lui donnait une ouverture particulière à la culture orientale.  Il avait une grande capacité à arrondir les angles, notamment à une époque où commençaient à se développer des tensions qui faisait surtout du judo alors que nous nous consacrions entièrement à l’Aïkido. Sa culture vietnamienne lui avait laissé une vision assez traditionnelle, avec des valeurs éthiques claires.
La région lyonnaise semble avoir été très active dans le développement de l’Aïkido.
C’est vrai, et à titre d’exemple lors de la scission historique qui a vu la naissance de la FFLAB qui deviendra ensuite FFAB, c’est à la Maison des jeunes de Villeurbanne que les statuts ont été préparés, notamment avec Pierre Chassang. Cela souligne que le lyonnais était un pôle important, avec des techniciens qui avaient un plein investissement dans l’Aïkido, alors que d’autres plus liés au judo (Monneret, par exemple) resteront avec la FFJDA lors de la création de la FFLAB. C’était un pôle important de développement  par la présence assez facile des experts également : Maître Tamura montait facilement de Marseille et Maître Noro descendait de Paris.
Il faut aussi noter, à cette époque, l’impact des stages d’Annecy. Ce stage d’Annecy durait un mois complet, avec plusieurs shihans : Nakazano, Tamura, Ichimura (un spécialiste du Iaido), ainsi que des shihans qui venaient plus ponctuellement, Asaï, Noro, Tada, Kobayashi. A cette époque l’Aïkido était entièrement neuf pour nous. Techniquement nous étions moins construits qu’aujourd’hui, où tu trouves des 4è Dan un peu partout. Mais on enseignait très tôt, dans une atmosphère où il fallait se battre pour se développer, notamment par rapport aux enseignants de judo. Il y avait une atmosphère de fierté et de combat pour défendre l’Aïkido, fierté renforcée par le pouvoir de séduction de l’Aïkido. Par exemple, on multipliait les démonstrations : l’utilisation des armes, du jo, des sabres ou encore la rapidité d’exécution de l’Aïkido  marquait le public et ouvrait à une pratique nouvelle. C’était une époque où on s’employait à faire briller l’Aïkido, avec beaucoup de plaisir. Il y a d’ailleurs un écart important entre cette séduction du public, et la pratique  anonyme de l’enseignant d’Aïkido qui va œuvrer progressivement pendant bien des années pour construire un groupe de pratiquants…
J’aimerais maintenant revenir sur ton histoire plus personnelle. Peux-tu nous expliquer ce qui t’a motivé personnellement à développer cet investissement dans l’Aïkido ?
Comme pour beaucoup, cela a démarré à l’adolescence par une recherche personnelle, avec l’influence de certaines lectures. Je me souviens par exemple de certains textes soulignant que le plus faible peut de devenir le plus fort, pour peu qu’il sache correctement gérer les choses. Dans les arts martiaux, cela correspondait au jujitsu par exemple, ou encore aux travaux corporels de Felkantrais.
En parallèle, j’avais une recherche personnelle vers l’ésotérisme. J’ai d’abord contacté des gens qui travaillaient avec des chamans et j’ai rencontré aussi des libraires tournés vers l’ésotérisme. Par exemple j’ai entretenu des contacts fréquents avec Paul Derain, éditeur et traducteur de livres ésotériques sur Lyon. J’ai eu aussi des contacts avec des Kabbalistes.
Après cette recherche initiale dans l’ésotérique occidental, j’ai rencontré le judo puis l’Aïkido, et à partir de ce moment j’ai basculé vers l’ésotérisme oriental. En fait j’étais moins sensible à l’ésotérisme occidental, et j’ai commencé à me tourner vers l’orient par des lectures et des rencontres. Je me suis intéressé tout d’abord au bouddhisme, puis plus précisément au bouddhisme tibétain. J’ai la chance d’avoir été initié par deux grands Maîtres tibétains, Kalou Rinpoché ainsi que le 16è Karmapa. J’ai eu aussi le plaisir de travailler avec Taisen DeshimaruD’ailleurs Tamura Senseï l’avait invité à des stages d’Aïkido sur Lyon mais aussi aux stages d’Annecy.
Les stages d’Annecy étaient donc l’occasion d’une réelle ouverture culturelle vers le Japon et l’Orient, en complément à l’Aïkido ?
Oui, tout à fait. Sous l’égide de Maître Tamura, différents experts passaient à Annecy: des experts de Macrobiotique, des Maîtres Zen, des Maîtres d’autres Arts Martiaux comme le Iaïdo . Par exemple, on a commencé le Iaïdo à Annecy, avec Ichimura un expert en la matière. Cette ouverture complétait notre pratique de l’Aïkido, sans oublier la pratique du shiatsu sous les directives de Nakazono sensei.
De mon côté, j’ai aussi longtemps travaillé le Yoga. Donc ma recherche personnelle s’est à la fois appuyée sur l’Aïkido, sur le bouddhisme, sur  le Yoga. Toujours dans cette recherche j’ai fait une formation de médecine chinoise, pour laquelle je suis allé travailler en Chine et au Vietnam pour des périodes de stages. Le Gi Gong faisait partie de cette formation également.
Dans toute cette recherche, il y a ce que chacun peut recevoir comme support dans son étude et puis ce que chacun pourra intégrer et transformer selon son degré d’assimilation. Pour essayer d’illustrer cela, je vais prendre une métaphore assez orientale : si l’on considère une fleur, on va pouvoir ‘se nourrir de la qualité de cette fleur’, non pas par une relation intellectuelle, mais par une relation que l’on pourrait un peu dire « d’être à être ». ‘Se nourrir’ cela signifie que la fleur va apporter quelque chose en nous. On peut ainsi se nourrir d’un arbre, de l’eau, de la montagne, de l’air, d’une fleur, d’un sourire, presque de toute chose….Dans le yoga on appelle cela samiyama. Cela signifie que si l’on cherche à sentir comment est l’autre, on va chez lui, par la conscience.
J’ai ainsi appris une technique chinoise qui fait parti de ce que l’on appelle la médecine « de l’information ». Je vais l’illustrer par un exemple vécu en stage en chine. L’instructeur nous demande d’abord de relâcher corporellement et psychologiquement, de nous mettre dans un état d’écoute. Et puis il nous indique « maintenant vous aller ressentir l’odeur des fleurs ». Et effectivement il y avait clairement une odeur parfumée dans la pièce, sans qu’il n’y ait de fleurs réellement présentes. De manière imagée, on pourrait dire que l’instructeur avait cette aptitude à transmettre une « information » sur cette odeur de fleurs, qui revenait vers nous ensuite.
Si on veut faire le lien avec les Arts Martiaux, le premier stade vis-à-vis d’un adversaire est de sentir quand il va attaquer ; à un second stade, il s’agit de lui demander de bien vouloir attaquer, tout en étant prêt ; et sans doute à un troisième stade, l’adversaire n’a plus envie d’attaquer. Est-ce que le véritable Aïkido n’est pas là ? Aujourd’hui, les gens sont dans l’avidité du catalogue, dans la démultiplication des techniques. Je croie qu’au contraire la multiplicité des techniques doit nous ramener vers l’unité.
Considères tu que pour aller dans le sens de cette recherche, il serait nécessaire de construire et d’enseigner l’Aïkido différemment, par rapport à ce que tu observes aujourd’hui ?
Certainement. Ce que chacun peut enseigner est le fruit de sa propre expérience. Il est nécessaire de construire son propre vécu avant de pouvoir donner des outils aux autres.
Il est à la fois nécessaire de développer la pratique et une certaine compréhension. Je vais prendre l’exemple d’iriminage. Sur le corps on considère le dos yang et la face ventrale yin. C’est correct si on s’en tient à l’emplacement statique. Mais si on considère non plus la structure du corps  mais son activité, l’activité yang se situe devant et l’activité yin derrière. Donc en pratiquant, peut-être cherchera t-on à attaquer le yin : voilà, à mon avis, une partie de l’explication d’iriminage.
Mais pour cela, il faut une certaine compréhension de ces principes énergétique comme le yin/yang et sans s’arrêter à des schémas trop réducteurs qui consisteraient par exemple à ne s’intéresser qu’à l’aspect structurel du yin et du yang, sans s’intéresser à leur activité. En second lieu, comme il y a une activité yang sur la face, les gens ont tendance à travailler la partie frontale, alors qu’il est plus intéressant de travailler un peu comme si on était gonflé comme un ballon, c'est-à-dire avec ta sphère énergétique tout autour de soi. Ce sont de brefs exemples, mais il y a beaucoup de choses à comprendre de la sorte avec les mécanismes énergétique.
Par exemple, lève toi [Bernard va chercher à me faire ressentir par le corps ce qu’il tente d’exprimer]. Au-delà de ton corps physique matériel, à une certaine distance, se trouve ton corps énergétique. Certains le perçoivent visuellement ; ce n’est pas mon cas ; mais je le ressens. Donc, avec toi, si je veux rentrer dans ton corps énergétique, je vais rentrer ici [Par rapport à mon kamae, Bernard rentre irimi et pour me faire percevoir la sensation énergétique de la technique]. Mais si je rentre brusquement tu es gêné [Bernard associe le geste à l’explication]. Donc pour la pénétration il faut développer la capacité à agir vite tout en allant doucement. Ici je peux aller vite parce que je suis placé dans une distance proche de l’autre ; mais si je suis placé dans une autre distance, projeter mon énergie sur toi sera plus difficile, même si cela reste possible [à nouveau Bernard enchaîne différents mouvements pour me faire sentir ce travail]. Et en fait, il y a cinq manières de projeter ton énergie, par exemple avec un doigt, avec le regard, ou simplement avec la pensée [Bernard illustre ces propos concrètement].
Mais pour cela il faut éduquer le corps, non pas dans un faire, mais un dé-faire, c'est-à-dire sentir. Non pas sentir avec la tête, mais sentir globalement avec le corps, l’intuition. Par exemple, quand quelqu’un va t’attaquer il ne s’agit pas de percevoir avec notre intellect, mais chercher simplement à sentir que quelque chose vient : sentir dans notre mental quelque chose qui bouge. Si on se trompe tant pis, mais quand c’est juste c’est vraiment juste.
En  travaillant uniquement avec notre intellect, nous pourrions travailler toute notre vie sans jamais arriver à développer cela. Il faut se fier à autre chose, notamment sur le développement d’une autre manière de percevoir. On peut le développer dans le quotidien aussi : par exemple dans la rue fixer une jolie fille (souvent les filles sont plus sensibles !) ; elle va se retourner, sans savoir pourquoi ni ce qui s’est passé ; mais son corps son mental auront perçus une sensation. On peut le développer en expérimentant, mais si on cherche à trop formaliser le développement de ce type de perception, cela ne fonctionne plus.
Tout ceci ce sont des grandes orientations, des principes que l’on retrouve ensuite dans chaque technique. Si on n’applique pas ces principes fondamentaux, l’apprentissage de l’Aïkido sera moins productif, et on peut travailler fort longtemps sans résultat. Si on cherche à aller à Paris on peut y aller directement ou bien en faisant le tour de la planète…et choisir dès le début la bonne orientation pour parcourir le chemin est une question de clairvoyance. C’est un point important : le Keïko, l’entrainement doit s’inscrire dans un certain discernement, il faut s’entraîner avec discernement pour que le travail soit productif. Cela ne signifie pas non plus de s’attacher à la production, à l’obtention d’un résultat ou d’une performance. Si c’est le cas, il ya création d’un attachement qui nous enchaîne. Il faut discerner et travailler les principes, sans s’occuper du résultat. Le reste vient de lui-même.
Il est donc nécessaire de développer une attitude de lâcher-prise. On travaille bien sûr le lâcher-prise physique mais il y a aussi le lâcher-prise conceptuel, mental. Faire ce que l’on doit-faire à chaque moment en harmonie avec soi-même et en application des lois de l’univers.
Ensuite, il ya bien sûr tout le travail interne pour renforcer nos énergies propres et relâcher nos tensions, c'est-à-dire décontraction et relâchement du corps, circulation libre de l’énergie, concentration de l’énergie dans les racines. Il existe bien sûr des exercices pour cela, par exemples des exercices respiratoires, des exercices avec les sons ou des exercices gestuels. Les sons vont par exemple relâcher des tensions, harmoniser l’énergie dans le corps, faire vibrer les cellules. Si par exemple, on regarde la gestuelle de l’aïkido il ya des cercles et des spirales partout. La ligne droite en général ce n’est pas bon. Ton corps doit s’inscrire aussi dans un cercle. Par exemple si mon corps est trop tendu comme ceci, il n’y a plus d’harmonie [Bernard illustre son propos par une posture où le bras est tendu et l’épaule n’est plus relâchée]. En quelque sorte,  il faut toujours 3 segments, qui se construisent dans le relâchement, et la hauteur du bras vis à vis de l’épaule importe aussi.
On cherche donc à être capable de projeter le Ki dès que c’est utile.
Développer la sensibilité du pratiquant lui  permet d’être prêt sans se préparer, et disponible sans savoir à l’avance ce qui va se passer, sans intellectualiser. Mais tout ceci est un travail individuel. Par exemple on peut le travailler simplement en marchant. Dans les arts martiaux on marche en mettant toute notre conscience dans la marche. Dans cette marche on va également trouver le travail de verticalité. On utilise classiquement 8 directions de déplacements, mais il faut encore ajouter la verticalité, les directions terre/ciel, et cela donne au total 10 directions. L’utilisation de l’axe vertical est également très importante dans bien des techniques : par exemple sur iriminage si je travaille uniquement dans le plan horizontal cela ne va pas [Bernard illustre de nouveau ses propos par la pratique, pour me faire sentir le travail de direction du Ki].
Il y a donc une influence importante du QI Gong dans ta recherche ?
Oui et non.
Une influence car cela m’a apporté un éclairage différent : cela donne des réponses et cela permet aussi de poser des questions.
Mais en Aïkido on trouve aussi un enseignement ésotérique qui est directement lié au shintô, notamment avec différents exercices de purification comme ceux qui sont intégrés dans nos préparations avec Ameno Tori Fune. Ces exercices doivent être pratiqués avec une certaine attitude pour qu’ils soient productifs : à la fois avec le relâchement corporel, mais aussi avec la conscience que l’on y met, ou encore avec les sons qui participent à ce travail énergétique. Ce sont des sons qui viennent du fond de l’être.
En plus du shintô, le Kototama est aussi lié à l’Aïkido et travaille le verbe selon la tradition japonaise. Nakazono Senseï avait développé sa recherche en ce sens… Mais il y a tellement longtemps que j’ai reçu ces explications que je ne pourrais plus t’expliquer suffisamment précisément cela aujourd’hui !
Bernard George-Batier - FFAB – 7è Dan
Interview Xavier Boucher
 

Interview de Bernard GEORGE-BATIER - Partie 2

 
Témoignage de Sampaï : Bernard George-Bâtier
 
Développer notre sensibilité énergétique
 
Dans un article précédent, nous avons commencé à donner la parole à Bernard George-Bâtier, pratiquant passionné d’Aïkido, qui a longtemps étudié auprès de Maître Tamura et qui a étoffé sa recherche personnelle en rencontrant de nombreux experts orientaux d’Aïkido mais également d’autres disciplines. En écho à sa recherche personnelle abordée précédemment, Bernard souligne ici l’importance de nous ouvrir à un travail énergétique pour découvrir les fondamentaux de l’Aïkido.
 
Dans un article précédent, nous avons commencé à donner la parole à Bernard George-Bâtier, pratiquant passionné d’Aïkido, qui a longtemps étudié auprès de Maître Tamura et qui a étoffé sa recherche personnelle en rencontrant de nombreux experts orientaux d’Aïkido mais également d’autres disciplines. En écho à sa recherche personnelle abordée précédemment, Bernard souligne ici l’importance de nous ouvrir à un travail énergétique pour découvrir les fondamentaux de l’Aïkido.
 
Dans ton précédent article, tu as commencé à nous parler des fondamentaux énergétiques mis en œuvre dans l’Aïkido. Penses tu nécessaire à chacun de faire ce retour vers l’Orient, pour ré-approfondir ces fondamentaux que tu évoques ?
Je pense qu’il faut développer un bon discernement, comprendre certains principes universels, et ensuite comprendre comment les appliqués dans la pratique. Non pas comprendre uniquement que nykkyo se fait comme ceci ou comme cela uniquement, mais comprendre quels sont les principes sous-jacents à nykkyo et qu’est ce qui le rend efficace. Savoir appliquer le travail respiratoire, savoir développer la bonne attitude, le relâchement mental, etc. Et tout ceci constitue une recherche personnelle. On peut donner les grandes lignes, mais ensuite chacun intègrera et développera cela avec son propre vécu, sa propre intelligence, sa propre sensibilité. Tous ces éléments feront que chacun arrivera ou non à évoluer. Certains restent dans la recherche de l’efficacité : ils n’évolueront jamais. Dans un cas on est dans la matérialité, dans l’autre on se situe dans l’évolution de l’homme. Une différence majeure entre l’homme et l’animal est la capacité à se transcender. L’humain peut se transcender, ou au contraire rester dans la matérialité.
C’est un travail constant, ne serait-ce que la respiration.
Il y a 30 manières de respirer selon ce que tu veux faire. Par exemple, lors d’un stage Tamura Shihan nous faisait travailler la respiration. De mon côté j’ai senti que c’était une respiration trop forte. A la fin du cours je suis allé le voir pour lui exprimer, et il m’a répondu « Oui je sais que c’est une respiration forte…. ». Ainsi c’était trop fort pour moi, mais il le savait parfaitement et c’est ce qui convenait à Tamura Shihan. Il n’y a pas 2 respirations identiques. Sans doute je n’étais pas assez puissant, ou pas assez sensible.
Le Maître nous montre une direction. Mais il ne s’agit pas de chercher à le copier un peu « bêtement » ou trop systématiquement. Il faut copier en prenant les principes sous-jacents à ce qu’il va montrer. Tout geste technique peut être réalisé de différentes manières. Par exemple, un même mouvement va pouvoir être travaillé dans le jaillissement ou bien dans la puissance : aucun des deux n’est faux simplement ce sont 2 outils différents. Dans un cas et dans l’autre on ne cherche pas à développer exactement la même chose : cela dépend de ce que l’on cherche. Il me semble intéressant de maîtriser les deux, de ne pas se bloquer dans un geste ou l’autre et de maîtriser les principes sous-jacents qui feront que l’on pourra s’adapter ensuite à chaque situation.
As-tu également développé le travail énergétique d’un point de vue médical, as-tu traité des patients ?
Dans l’enseignement que j’ai reçu d’un point de vue médical, il y a d’abord le travail de la pharmacopée et de la diététique qui est très puissant et qui représente 70 % de cette approche. J’utilise bien sûr ce travail, pour moi et pour d’autre. Il y a le travail des aiguilles et des moxas qui représente 10 %, qui peut-être utile pour faire circuler l’énergie. Une différence entre ces 2 facettes c’est que la pharmacopée et la diététique vont pouvoir apporter de l’énergie avec un certain tropisme pour les organes, au contraire des moxas et aiguilles qui visent principalement à faire circuler. Il y a deux types de massages : d’une part les tunas, massages thérapeutiques (‘tu’ signifie pousser, et ‘na’ saisir) ; d’autre part les anmos, massages de bien-être  (‘an’ presser, ‘mo’ frotter). Les uns et les autres appliquent des principes identiques. Le shiatsu est entre les deux. Pour moi, il reste limité, notamment car il correspond à une mentalité japonaise simple et efficace. Ensuite il existe encore d’autres pratiques thérapeutiques comme le Gi Gong. Ainsi, tous ces outils sont à utiliser en fonction des états.
Enfin, on peut encore rajouter le travail de méditation. Il y a plusieurs techniques de méditations. Dans la méditation sur le vide, quand tu voies une pensée qui arrive tu la laisses passer, pour ne plus t’occuper des pensées. La méditation tibétaine sur la respiration utilise le souffle respiratoire. Des techniques taoïstes se focalisent sur la visualisation. Les techniques tantriques sont encore une autre forme. Chacun doit trouver ce qui lui convient pour construire quelque chose. Et cette construction dure toute la vie. Il n’y a pas un moment où on serait arrivé et où la construction s’arrêterait. La santé n’est pas une ligne droite…D’autant plus qu’il y a tout ce que tu peux chercher à maîtriser, mais également tout ce que tu ne maîtrises pas, notamment parce que tu hérites également de ce que te transmettent tes parents et ancêtres. Si l’ADN te transmet des gènes pathologiques, il suffit ensuite d’un facteur déclenchant pour que la maladie arrive.
Comment as-tu cherché à relier cette recherche thérapeutique et l’Aïkido ?
Dans la médecine chinoise il existe des règles universelles qui lui donnent ses fondements ainsi que les fondements du Gi Gong que j’ai étudié : Le ciel - la terre – l’homme / le yin – le yang / le qi (ki)–  le shen. Pour le Gi Gong les fondements sont encore un peu différents, car il y a aussi tout l’alchimie interne (Taoïsme de l’école interne)  qui est encore autre chose. Et ce que j’essaie d’apporter aux gens dans mon enseignement, c’est la corrélation entre les principes utilisés dans l’Aïkido et les principes utilisés dans la cosmologie énergétique.
Si dans le travail d’Aïkido on perçoit clairement l’aspect ‘circulation énergétique’, je crois qu’on peut évoluer plus facilement. Mais sinon, on il ya un risque important de travailler des dizaines d’années sans résultats ! Tamura senseï le montre : non seulement par les exercices énergétique qu’il apporte dans la préparation, mais parfois par exemple il montre certains mouvement comme si il étirait le ki du bout des doigts, comme si il y avait un hameçon.
Donc avec cette conscience de l’énergétique, le contenu du mouvement change complètement.
Oui, et ensuite il faut garder à l’esprit que cela change en permanence. Il est nécessaire de distinguer le principe et son application, qui s’adaptera à chaque situation. Mais le point de départ reste un principe juste. Par exemple ici sur tenchinage [Bernard illustre ses propos par la pratique], le principe est de rentrer sur la partie Yin du corps. Si au contraire je suis en poussée tout s’arrête…par contre en respectant la circulation énergétique, on peut monter. Au final, c’est une autre approche pour construire les mouvements techniques.
C’est une approche difficile, car au début il s’agit de chercher à appliquer constamment ces principes et, de plus, les appliquer dans une situation dynamique, vivante, rapide. Dans  un premier stade on cherche à appliquer consciemment ces principes, mais progressivement ces principes s’inscrivent également dans le corps et le mental et petit à petit ils en viennent à s’appliquer assez spontanément : c’est une autre étape très intéressante. J’applique des principes qui ne demandent  pas de force.
L’ouverture de ta recherche personnelle vers différentes pratiques peut devenir une source d’inspiration pour la manière d’aborder et d’enseigner l’Aïkido dans le futur…
En fait, je n’ai pas fini mon étude.
Dans les stages que je faisais à Mimizan, j’ai gardé le principe d’apports variés comme nous le faisions  à Annecy, sans se restreindre exclusivement  à la pratique de l’Aïkido. C’est un peu comme un repas : pour le corps on ne peut se nourrir uniquement de riz ; au contraire il faut apporter des aliments variés dans lequel le corps ira chercher ce dont il a besoin. Et je pense qu’intellectuellement et humainement c’est pareil.
Il y a pour moi une ambiguïté ici pour moi ici dans l’Aïkido. L’aïkido est conçu comme un art à part entière. C’est vrai, mais en même temps Maitre Ueshiba lorsqu’il enseignait le Kototama, le shintô, les symboles. C’était un enseignement plus intégral.
Je pense pour ma part que c’est un tout. Par exemple, certains ont même arrêté la pratique du bokken un moment comme si cela n’était plus utile. Au contraire, il s’agit de construire un être, un tout qui a besoin de nourriture variée.
L’une des difficultés n’est-elle pas que cela relève beaucoup de notre responsabilité individuelle en Aïkido et que c’est un peu « caché » ?
Senseï enseigne depuis très longtemps une ouverture, vers le Gi Gong par exemple avec les mouvements de Ba Duan jin (8 pièces de brocarts, exercices utilisés en préparation d’Aïkido), vers le shintô avec certaines pratiques comme améno tori fune, vers le shiatsu et l’énergétique avec les auto-massages en préparation, avec des exercices respiratoires très riches. Mais la plupart des personne pratique cela comme de la gymnastique, et cela les ennuie presque. Alors que dans la réalité ce sont des exercices que chacun doit travailler intérieurement pour se construire. Il nous donne les outils, il nus les montre nous les explique. Ensuite, cela reste à chacun d’aller approfondir ce qui convient le mieux à sa propre construction et à sa personnalité. Mais dans un premier temps c’est intéressant de goûter à tous les aspects.
 Bernard George Bâtier - FFAB – 7è Dan
Interview Xavier Boucher