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ENTRETIEN AVEC MADAME TAMURA

 

L’Aïkido au quotidien

Rencontre avec Rumiko Tamura – janvier 2020

C’est dans sa maison à St Maximin la Ste Baume, devant une tasse de thé et près d’un feu de cheminée, que cette rencontre s’est déroulée.
Je remercie Rumiko Tamura d’avoir accepté cet entretien, d’avoir accepté de parler de son enfance au Japon, de sa vie en France.

Une grande dame discrète, attentive, attentionnée et toujours passionnée. Ces propos ont été recueillis par Maryse Morin.

Pour commencer, pouvez-vous nous parler un peu de votre enfance, de votre jeunesse au Japon ?

Ma jeunesse s’est déroulée après la guerre : ma maison natale était entièrement brûlée et il restait juste le terrain. Mon père a rapidement reconstruit une petite maison. Et je peux dire que mon enfance était vraiment très heureuse...notamment parce qu’il y avait un grand terrain. Auparavant ce terrain était un joli jardin, mais après la guerre tout était brûlé, si bien que ce terrain est devenu un grand lieu d’aventure : on était tout le temps dehors et on s’amusait beaucoup sur ce terrain...tout brulé ! J’avais tout le temps des petites blessures et on ne se soignait pas vraiment, si ce n’est un peu avec de mercurochrome, .... mais c’était vraiment une période magnifique !

Juste à côté de notre maison, sur le même terrain, mon père a construit une autre demeure pour la maman de ma mère et pour son frère. Nous avions à peu près le même âge que leurs enfants (mes cousins et cousines...), si bien que l’on s’est beaucoup amusé dans cette grande famille durant toute mon enfance : on était tout le temps ensemble, filles et garçons, à jouer sur ce grand terrain en ruine.

J’ai vécu toute mon enfance à Tokyo : on n’avait rien, mais on était très heureux !

Quelle scolarité, quelles études avez-vous suivi ? Et comment êtes-vous venue à la pratique l’Aïkido ?

Avec ma sœur, du primaire jusqu’au secondaire, pendant neuf ans, nous étions à l’école privée des filles et cela s’est très bien passé. Par la suite je suis rentrée au lycée, à l’école de musique.
J’ai commencé le violon à l’âge de 9 ans, mais je pense que c’était déjà un peu tard pour commencer. C’est à force de travailler que j’ai commencé à aimer le violon ; mais, malgré ces progrès, il me semble que je n’étais pas exactement faite pour cela. Après le lycée, j’ai continué à l’université, là aussi pour étudier la musique. J’ai donc suivi 3 ans de lycée et ensuite 4 ans de conservatoire à l’université de musicologie, qui était juste à côté de l’école des beaux-arts.

J’ai commencé l’Aïkido à l’âge de 18 ans.
Après les cours à l’université, on rentrait la plupart du temps à la maison avec quelques collègues. Et parfois, un sempaï qui s’appelait Monsieur Araï (il est de Takasaki), prenait le même train que nous. Un jour, il me dit : « 
je me rends au dojo d’Aïkido maintenant, si tu veux venir pour regarder. » Alors, avec quelques copains, on l’a suivi et c’est la manière dont j’ai découvert l’Aïkido pour la première fois. Je ne connaissais absolument rien à cette pratique et cela m’a intéressé. Et puis, des garçons japonais qui portaient un kimono avec un hakama,... je trouvais cela très chic et très beau : c’est sans doute aussi pour cela que j’ai commencé. Même si je ne m’en souvienne pas très bien, je crois que la première fois que j’y suis allée, c’était le cours de mon (futur) mari !

C’était au Hombu Dojo ? Qui donnait les cours ? Quels senseïs avez-vous connus et avec lesquels avez-vous le plus pratiqué ?

Oui, je pratiquais en effet au Hombu Dojo. Lorsque O’Sensei était à Tokyo, il assurait le premier cours à 6 h 30, sinon le cours était donné par le premier doshu Kisshomaru Ueshiba Senseï. C’est aux cours du doshu auxquels j’ai assisté le plus plus souvent. Bien sûr, bien d’autres personnes enseignaient encore au Hombu Dojo. Chaque cours était différent et, par exemple, j’ai également participé assez fréquemment aux cours de Osawa Senseï de 8 h à 9 h (le père de Hayato qui enseigne actuellement à l’Aïkikaï).

J’ai connu tous les Senseïs de cette époque. Tous étaient encore là : Yamada Senseï qui était kayoi no deshi, c’est-à-dire qu’il ne dormait pas au dojo mais venait pratiquer tous les jours ; par contre Tamura Senseï, Kanai Senseï, Sugano Senseï, Chiba Senseï étaient uchi deshis ; il y avait aussi Tada Senseï, Arikawa Senseï. Mon (futur) mari avait un cours le mercredi après-midi (me semble-t-il...). Tous les uchi deshis donnaient d’ailleurs un cours l’après-midi.

J’ai commencé au mois de mai, en démarrant la pratique une fois par semaine. Ensuite, les vacances scolaires de juillet-août sont arrivées et, même si le dojo restait ouvert, je ne m’y suis pas rendue durant cette période. C’est au mois de septembre que j’ai commencé plus sérieusement : cette fois, j’y allais presque tous les jours, le matin dès 6h30, jusqu’à 7h30 et ensuite en fonction des horaires de cours à l’école. Parfois je pratiquais de 8h à 9h et après je me rendais à l’école ; ensuite quand je terminais les cours à l’école assez tôt, j’y retournais. Cela dépendait donc des jours, mais dès que je pouvais je me rendais au dojo.

A cette époque, y avait-t-il déjà des femmes pratiquante d’Aïkido au Japon ?

Non peu de femmes pratiquaient l’Aïkido à cette époque. Juste quelques-unes le matin et un peu plus l’après-midi et le soir, avec un bon niveau. Ce sont des bons souvenirs et j’aimerais bien les revoir, mais j’ai reçu peu de nouvelles et j’ai perdue de vue certaines de ces pratiquantes. Comme les femmes étaient peu nombreuses, tout le monde était très attentionné avec moi, comme avec toutes les femmes de cette époque.

Cependant, nous étions également confrontées à des difficultés, notamment parce que les garçons japonais ne voulaient pas prendre comme partenaire les filles débutantes. Du fait que nous débutions, pratiquer avec nous les intéressait peu, surtout le matin : assez souvent j’étais la seule fille et personne ne voulait travailler avec moi.

Et votre rencontre avec Tamura Senseï, pouvez-vous nous la raconter ?

A cette époque mon (futur) mari était le responsable des uchi deshis. Personne n’osait l’inviter pour pratiquer et souvent il restait lui aussi tout seul. Il me proposait alors d’être sa partenaire de pratique. Je travaillais souvent également avec Saotome Senseï.
Il se trouve qu’un jour, mon (futur) mari donnait le cours et a pris comme partenaire Araï Senseï. A cette époque mon mari était 5
dan et Araï sensei 1er dan. Mon (futur) mari faisait chuter Araï senseï de manière intensive et, à un moment, le pied de Araï senseï est venu me percuter dans le ventre ; alors je me suis plainte à mon (futur) mari, il m’a dit : « pour m’excuser, je t’invite à boire le café ». Je lui ai répondu « Ah juste le café ? ». Plus tard, il m’a également invitée à un repas et ce fût notre première sortie.

Nous nous sommes mariés en mai 1964, après la fin de mes études, puis nous sommes partis en France au mois d’octobre : j’avais alors 22 ans.

La légende dit que vous êtes partis en France pour votre voyage de noce ?

[Rires...] Après la cérémonie de mariage (environ deux jours après) nous sommes partis en voyage de noce un peu vers le nord du Japon, d’abord à Akita parce que mon mari avait un premier ami aïkidoka qui avait un hôtel et un second ami une auberge de style japonais à Sendaï. Tous deux nous ont invités et cela nous a permis de ne payer que le prix du train, car nous n’avions que peu d’argent.

En fait, j’ai peu travaillé au Japon : juste quelques mois dans l’orchestre du Japon. C’était embêtant, parce que les responsables de l’époque prenaient rarement des filles, du fait que leurs mariages les conduisaient souvent à s’arrêter de travailler. Cela s’est vérifié dans mon cas : j’ai travaillé quelques mois dans l’orchestre du Japon et j’ai ensuite arrêté parce que nous partions en Europe.

Avant notre départ, mon mari travaillait pour l’Aïkikaï. Il intervenait, ainsi que Yamada Senseï et Sugano Senseï je crois, dans les bases américaines autour de Tokyo et dans quelques universités aussi. C’est à cette même époque que tous les uchi deshis ont commencé à enseigner au Japon mais aussi de par le monde : c’était une belle époque ! Mais, c’est aussi à cette époque que tous les uchi deshis ont quitté le Hombu Dojo, voire même le Japon : toute une génération d’uchi deshis de haut niveau, qui avait connu O’Senseï, s’est éloignée.

Pouvez-vous nous raconter les circonstances de votre arrivée en France, ... ?

J’avais de la famille en Allemagne car ma grand-mère était allemande. Le rêve de ma famille était que je continue à étudier la musique là-bas. Mais, en même temps, Maître Noro, qui vivait à Paris et Nakazono Senseï, qui était encore en France, avaient écrit à mon mari à propos de leur projet de construction d’un dojo à Paris. Ils avaient demandé à mon mari de venir pour enseigner l’Aïkido dans ce dojo et c’est ce qui nous a conduit à venir nous installer en France.

C’est ainsi que nous avons pris le bateau en direction de Marseille. A cette époque tout le monde voyageait en bateau. Nous sommes arrivés à Marseille après un mois de traversée et de nombreuses escales : Hong-Kong, Saïgon, Singapour, Bombay, Colombo, Djibouti et Barcelone. C’est seulement une fois arrivés à Marseille, que nous avons appris que le dojo de Paris n’était pas construit et qu’il n’était plus question de nous installer à Paris. Heureusement, Nakazono senseï nous a gentiment accueillis avec sa famille.

Par la suite, Nakazono senseï a amené mon mari en stage pour le présenter aux pratiquants français. Et quelques années après, Nakazono senseï est parti à Paris. Plus tard, il s’est également rendu aux Etat Unis, à Santa Fe. Quant à nous, nous avons décidé de rester sur Marseille où M. Jean Zin a proposé à mon mari des cours d’Aïkido dans son dojo de Marseille, ainsi qu’un logement au-dessus du dojo. C’est ainsi que nous avons démarré.

Quelques années plus tard, nous sommes venus nous installer à St Maximin la Ste Baume. Nous avons fait construire la maison où je vis encore actuellement et cela a duré quatre ans : elle a été construite avec l’aide d’amis aïkidokas qui venaient chaque week- end pour y travailler. Pour la finir on a toutefois fait appel à des artisans... car la famille commençait à s’agrandir.

Quand vous êtes arrivée en France, vous ne parliez pas un mot de Français ?

C’est vrai : ni français, ni anglais. Par contre, j’avais appris un peu d’allemand en lien avec la musique et avec les racines familiales que j’ai évoquées. Au début, on avait en effet pensé aller vivre en Allemagne ou à Zurich, où avions eu aussi quelques propositions.

Pouvez-vous nous parler de votre vie de femme et de mère au foyer en France par rapport au Japon ?

C’est une situation similaire : auparavant les femmes japonaises, tout comme les femmes françaises, n’avaient pas besoin de travailler et elles s’occupaient des enfants et du foyer. Aujourd’hui, en France comme au Japon, elles sont obligées de travailler pour subvenir aux besoins de la famille, pour payer les études des enfants...

Ne vous êtes-vous jamais arrêtée de pratiquer l’Aïkido ?

Si, je me suis arrêtée une quinzaine d’années pour élever mes trois enfants (ce dont je suis très fière !) et pour préparer la valise de l’infatigable voyageur qu’était mon mari. D’ailleurs, je faisais pratiquement tous les week-ends la route entre St-Maximin et l’aéroport de Marseille !

Mais après cette période, dès que j’ai pu, j’ai recommencé un petit peu, juste une fois par semaine, de temps en temps. Et maintenant, tant que je pourrai marcher, je continuerai à pratiquer l’Aïkido : le plus longtemps possible j’espère !

Vous est-il venu à l‘esprit de retourner vivre au Japon ?

C’est une question que je me pose aujourd’hui, car j’ai vieilli et quand il arrivera sans doute un moment où je ne pourrai plus m’occuper toute seule de la maison. Peut-être devrais-je entrer en maison de retraite et dans ce cas je préfère une maison de retraite au Japon, notamment parce qu’il reste difficile pour moi de m’exprimer correctement en Français. Mais bon, rien ne presse, on verra...

Vous retournez régulièrement au Japon, voir notamment votre sœur. Avez-vous conservé des relations avec la famille de votre mari ? Et profitez-vous de votre séjour à Tokyo pour pratiquer l’Aïkido ?

Je retourne au Japon régulièrement au moins une fois par an, pour voir ma sœur et également rencontré la famille de mon mari, sa sœur et ses deux frères. Je revois aussi mes cousines et mes cousins avec lesquels j’ai passé une grande partie de mon enfance ; nous nous retrouvons à chacun de mes séjours au Japon. Nous sommes toujours très contents de nous retrouver, nous nous entendons vraiment très bien et nous rigolons beaucoup.

Et bien sûr, j’en profite également pour aller pratiquer au Hombu Dojo.

Depuis le décès de Tamura Senseï, vous êtes restée fidèle au stage d’été de Lesneven, vous pouvez nous expliquez pourquoi ?

[Rires...] Et bien, ... parce que j’aime bien les bretons et que l’on se sent bien là-bas. Ce stage apporte toujours une bonne ambiance et j’ai tellement de magnifiques souvenirs avec mon mari tout comme avec les enfants. Durant bien des années, cette semaine-là représentait une période de vacances en famille, même si mon mari travaillait.

Et puis, il est vrai que l’équipe s’occupe bien de moi pendant ce stage. Il y a également la présence de Yamada Senseï, que je considère comme mon grand frère. Je viendrai à ce stage tant que je pourrai...

Au mois de juin, un grand stage est prévu à Lyon en hommage à Tamura Senseï avec la participation de Yamada Senseï et Osawa Senseï [Note : stage annulé ultérieurement compte tenu du coronavirus]. Que vous évoquent ces deux Senseïs ?

Je considère Yamada Senseï comme mon grand frère et je l’estime beaucoup. J’ai également beaucoup fréquenté Osawa senseï (père) quand j’étais encore au Japon. Et lorsque je vois le travail d’Osawa senseï (fils) j’ai parfois l’impression de revoir le travail de son père.

Comment définiriez-vous l’Aïkido ?

L’Aïkido c’est la vie.

Qu’est-ce que l’Aïkido vous a apporté ?

Beaucoup de plaisirs, de nombreuses rencontres... Tant de bonheur !

Un dernier mot ?

Que ce soit au Japon ou en France, j’ai eu une vie très heureuse.

Cet entretien terminé, nous avons regardé une vidéo, où nous voyons Tamura Senseï monter sur le tatami : il n’était pas en kimono... mais en costume-cravate lors d’un stage en Autriche, (cela a beaucoup fait rire Rumiko) et pendant presque une heure il a fait le cours. Au bout d’un moment, il a tout de même laissé tomber la cravate et relevé les manches de sa chemise.

Un très bon moment passé avec Rumiko Tamura !

Auteure : Rumiko Tamura, Epouse de Nobuyoshi Tamura Shihan Interview : Maryse Morin, pratiquante FFAB